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Par Philippe KOHLER,
Professeur agrégé d’allemand honoraire
De Napoléon III à la Grande Guerre
Si nous voulons remonter aux débuts de ce qui fut l’ancêtre de l’actuel lycée Roosevelt, il nous faut évoquer l’une des figures marquantes de la vie politique et commerciale de Reims, Édouard Werlé qui, entre autres mérites, présida aux destinées de la cité des Sacres de 1852 à 1868. Travaillant avec succès à la renommée de la société de champagne « Veuve Cliquot », cet homme d’affaires d’origine prussienne, naturalisé français en 1831, était conscient de la nécessité d’assurer aux jeunes une formation leur permettant de s’insérer dans le tissu économique de la région.
C’est pourquoi en 1862, sous son impulsion, le conseil municipal réclame au gouvernement de l’Empereur Napoléon III la création à Reims d’une véritable école professionnelle ; car si une école de ce type avait bien été créée sous le Premier Empire en 1804, les cours en étaient encore dispensés à l’Hôtel de Ville.
Bien que cette idée soit soutenue par le Ministre de l’Instruction Publique d’alors, Victor Duruy, les choses traînent en longueur, l’archevêque de Reims, Thomas Gousset, souhaitant préserver le rôle joué par l’Église dans l’instruction des enfants. Après le décès de ce dernier à Reims en 1866, l’idée d’y construire une École Professionnelle refait surface et la municipalité rachète aux nonnes capucines un terrain sur lequel seront érigés les bâtiments de la première école professionnelle de garçons, qui abritent aujourd’hui le lycée Libergier. Grâce à un premier crédit de 370 000 francs, les travaux de construction démarrent dès 1866. En 1868, l’école devient municipale. Elle suffit amplement à héberger les quelque 75 élèves qui en suivent les cours. La guerre franco-prussienne durant laquelle les locaux, encore inachevés, sont occupés par les troupes adverses, en trouble le fonctionnement. Sous l’impulsion de Victor Diancourt, maire de Reims de 1872 à 1881, les travaux reprennent et l’édifice est achevé en 1874 de sorte que l’École Professionnelle terminée peut rouvrir ses portes à la rentrée 1875, au numéro 55 de la rue Libergier ; elle ne compte plus alors que 55 élèves. Les coûts engendrés par ces travaux sont cependant si élevés que la ville est contrainte de demander l’aide de l’État. L’école devient ensuite « École Pratique de Commerce et d’Industrie », passant sous le contrôle du Ministère du Commerce, tandis que son département « commerce » est complété par une section technique.
Pionnière en France, cette école rencontre un grand succès, si bien que le besoin d’agrandissements se fait sentir et que des dépendances sont rajoutées de 1902 à 1907. Rapidement les effectifs enflent : de 260 en 1888 à 557 élèves quelques années plus tard, sous l’impulsion de son directeur, Monsieur Beauvais.
Durant la Première Guerre mondiale, malgré les périls inhérents aux hostilités et les bombardements, 80 jeunes gens assistent aux cours en 1915 et cela jusqu’en 1917. En mars 1918, il faut évacuer la ville et au mois d’octobre suivant, le fonctionnement de l’établissement reprend tandis qu’en 1919, 209 Rémois reprennent place dans les salles d’études et les ateliers. Mais comme nombre d’autres quartiers de Reims, les bâtiments de l’école ont payé un très lourd tribut à la Grande Guerre.
La reconstruction de Reims et l’entre-deux-guerres
Il est impossible de retracer l’histoire de l’actuel lycée Franklin Roosevelt sans présenter celui qui en fut le père, l’architecte, mais aussi en quelque sorte l’initiateur spirituel.
Au sortir de la guerre, Hippolyte Portevin occupe les fonctions d’Inspecteur Régional de l’Enseignement technique. Né à Reims le 26 novembre 1854, cet ancien élève de l’École Polytechnique (promotion 1872) exerce dès 1880 la profession d’ingénieur-architecte. En sa qualité de conseiller municipal de 1896 à 1900, il s’intéresse particulièrement aux questions touchant l’enseignement commercial et professionnel. Parmi ses nombreux ouvrages architecturaux d’avant-guerre, je n’en citerai que deux : les docks rémois à Reims et l’École Pratique de Commerce et d’Industrie à Denain (59).
Comme nous venons de le dire, la guerre a considérablement endommagé les locaux de l’ancienne École Pratique qui au lendemain de l’armistice est transformée en cantine publique où l’on distribue la soupe populaire aux sans-abri. De sorte que l’enseignement qui y était dispensé doit être transféré dans de nouveaux bâtiments.
Conscient de l’impérieuse nécessité de restructurer l’enseignement technique, Hippolyte Portevin rédige dès le mois de mai 1919 un mémoire qu’il adresse au Ministre du Commerce, de l’Industrie, des Postes et Télégraphes (1), dans lequel il expose ses vues concernant la construction d’un édifice moderne, dédié à l’enseignement technique dans sa ville de Reims.« La destruction presque totale de la ville de Reims n’a pas découragé sa population. Les industries qui existaient avant la guerre veulent renaître. L’aménagement de grands terrains reliés au chemin de fer et à la navigation peut en attirer de nouvelles. Les efforts du comité de patronage des habitations à bon marché et des sociétés nées sous ses auspices tendent à créer de beaux quartiers ouvriers, salubres et agréables, pouvant attirer non seulement la population d’avant-guerre, qui ne demande qu’à rentrer, mais des éléments nouveaux. La réorganisation de l’enseignement technique et de l’apprentissage s’impose donc, et doit même constituer pour la ville un élément de prospérité. »Il énumère ensuite les trois principaux secteurs qui animent la vie économique de Reims avant 1914 : industries textiles variées, peignage, filature, tissage de laines, teinture, commerce des tissus, corderies ; production et commerce des vins de Champagne ; commerce d’alimentation à vente par succursales, commerce ayant pris naissance à Reims.« Tout l’ensemble constitué tant par les trois groupes principaux et leurs industries annexes que par les industries et commerces divers, comporte nécessairement un nombreux personnel de direction, d’exécution et de comptabilité. Or, l’enseignement technique supérieur, c’est-à-dire susceptible de former le personnel de direction n’existe pas à Reims. »
Hippolyte Portevin passe ensuite en revue les établissements d’enseignement industriel et commercial « moyen » qui étaient présents à Reims et précise au sujet de l’École Pratique de Commerce et d’Industrie qu’elle comportait des sections consacrées au fer, au bois, à la filature et au tissage, à la chimie (avec atelier de teinture) et à l’électricité. Puis ensuite :« Il paraît tout indiqué de créer à Reims une École Supérieure de Commerce dont l’enseignement comporterait outre les notions générales d’économie industrielle et commerciale, de comptabilité et de langue, l’enseignement spécialisé aux branches principales de l’activité locale : laine, tissus, vins de Champagne, alimentation générale. L’enseignement pratique pour chacune de ces spécialités serait organisé en utilisant les ateliers et les laboratoires de l’École Pratique de garçons, et aussi, pour les vins de Champagne, une station œnologique dont la création s’impose à Reims. Une telle école ne devrait pas comporter un nombre d’élèves très élevé. Le personnel fixe devrait être restreint, comprendre surtout pour chacune des spécialités un directeur d’études, secondé par le personnel de l’École Pratique et cumulant leurs fonctions soit avec certains cours de l’École Pratique soit avec la direction de la station œnologique. Cette pénétration des deux enseignements aurait pour effet non seulement une meilleure utilisation du matériel et du personnel et une meilleure rémunération de celui-ci, mais aussi un contact qui se perpétuerait après la sortie de l’école entre les anciens élèves de l’École Supérieure et le personnel de l’École Pratique, celui-ci se tenant ainsi au courant des besoins des industries locales et trouvant des facilités pour le placement de ses élèves.
L’École Pratique de garçons serait non seulement conservée, mais développée et dotée d’ateliers et de laboratoire possédant un outillage aussi complet et aussi moderne que possible ; ces ateliers et ces laboratoires devraient pouvoir servir (…) de champ d’expérience aux industriels et aux négociants, pour leur plus grand profit et pour celui des élèves dont le placement serait aussi facilité. L’école régionale des Arts Industriels devrait avoir son enseignement plus intimement associé à celui de l’École Pratique, dont elle devrait continuer à utiliser les ateliers pour les travaux pratiques de ses élèves, sous la direction des chefs de travaux de la seconde, seuls responsables du matériel. Les cours de la Société Industrielle devront aussi se faire dans les locaux de l’École Pratique dont ils utiliseront éventuellement le matériel dans les mêmes conditions. »
On trouve ici résumés les principes qui présideront quelques années plus tard à l’ouverture du futur Collège Moderne et Technique.
Pour conclure son propos, Hippolyte Portevin souligne que des objectifs d’une telle ambition nécessitent la construction d’un vaste édifice capable d’y répondre :« Le groupement de la plupart des enseignements destinés aux jeunes gens autour d’ateliers et de laboratoires utilisables dans les différents degrés et l’utilisation maximum du personnel et du matériel comportent nécessairement des locaux importants qu’on ne saurait trouver dans l’École Pratique actuelle de la rue Libergier. »Hippolyte Portevin propose alors deux emplacements qui ne seront finalement pas retenus par la municipalité de Reims : soit l’actuel lycée Jean-Jaurès, à l’époque lycée de jeunes filles, avec tout l’îlot de maisons qui le jouxte soit une usine de peignage, détruite par les bombardements et proche du Boulevard Saint-Marceaux.
Après avoir hésité, en mai 1922, entre la rue Gosset et le boulevard Saint-Marceaux, la municipalité décide finalement d’acheter au Foyer Rémois un vaste terrain, bordé au Nord par la rue du Mont d’Arène, à l’ouest par la rue Saint-Thierry et au sud par la rue Henri Jolicœur et la voie ferrée ; à l’Est, il est délimité par les immeubles qui bordent l’avenue de Laon. Comme on le voit sur une carte postale datant de 1918, les usines de tissage qui s’y dressaient avant la guerre sont totalement dévastées et l’ensemble des décombres doit être évacué pour faire place nette et permettre l’édification du nouvel établissement scolaire.
À la suite d’une enquête publique du 19 au 26 décembre 1922, un plan détaillé est réalisé en novembre 1923 et le devis estimatif pour l’ensemble des travaux, daté du 19 mai 1924, se monte à 15 918 958,02 francs. Hippolyte Portevin achève le dessin des façades le 12 avril 1926.
En 1926, 600 internes et externes environ fréquentent l’École Pratique de garçons de la rue Libergier, si bien que ces locaux devenus trop exigus rendent un déménagement inéluctable.
Le nouvel ensemble architectural qui abritera non seulement l’École Pratique, mais aussi l’École Primaire Supérieure de garçons et l’École des Arts Industriels sera construit sur une parcelle de 2 hectares et 70 ares, ce qui est huit fois plus vaste que ne l’était l’ancienne École Pratique de garçons. 36 000 m2 de planchers en ciment armé seront construits par la société « Le Ciment armé Demay Frères à Reims ». Déjà à cette époque, l’école est reliée au centre-ville par le tramway et sa proximité avec la gare de Reims constitue un atout appréciable. La première pierre de l’édifice est posée le dimanche 18 juillet 1926. Cet acte officiel aurait dû en principe échoir à Monsieur Pierre Rameil, sous-secrétaire d’État de l’Enseignement technique dans le gouvernement d’Aristide Briand, mais par malchance le Cabinet chute le 17 juillet et c’est finalement Monsieur Labbé, directeur de l’enseignement technique qui préside cette cérémonie. Pour financer les travaux, un crédit de 10 millions de francs est prévu par la municipalité tandis que l’État verse une subvention à la Ville de Reims.
Il faut imaginer la scène : sous un chaud soleil d’été, les notabilités, assises autour de l’estrade drapée de rouge, occupent le bord de la rue Jolicœur sur l’emplacement même du futur lycée et écoutent les discours, ponctués par les flonflons de « l’Auréole Musicale des Chemins de fer ». Dans le style pompeux et inimitable de cette époque, Monsieur Labbé exprime l’admiration qu’il professe à l’égard de la ville historique dans laquelle se déroule cette cérémonie, « symbole hier de nos deuils et des ruines injustes, symbole aujourd’hui de la vitalité de notre race », puis il scelle soigneusement, après avoir longuement vanté l’enseignement technique, la première pierre placée au pied de l’estrade. Auparavant, Monsieur Paul Marchandeau, maire de Reims, a placé un tube en verre renfermant le procès-verbal de la cérémonie, signé par les personnalités, dans une cavité ménagée dans le cube de pierre. D’autres visites dans l’École Pratique de jeunes filles et l’École Professionnelle de garçons de la rue Libergier suivent, l’ensemble des cérémonies se clôturant – comme il se doit – par un déjeuner au restaurant Degermann. Tous ces détails et bien d’autres sont narrés dans les quotidiens locaux, avec une touchante minutie dont la presse écrite détient en ce temps-là le monopole.
Après un appel d’offres et bien des discussions relatives aux différentes manières (2) de reconstruire la ville de Reims dévastée à 80 % par les bombardements de la Première Guerre mondiale, et vidée de sa population au cours de l’évacuation de mars 1918, il est finalement décidé de confier la construction du nouvel ensemble scolaire à Monsieur Hippolyte Portevin. Dès 1922, celui-ci avait commencé à élaborer un avant-projet architectural attesté par des plans conservés aux Archives Municipales de Reims.
Pour des raisons de coût, le matériau choisi par le maître d’œuvre est essentiellement le béton armé, revêtu de petites briques rouges qui amèneront plus tard les Américains à désigner l’établissement où ils installeront leur Quartier Général « the little red-brick school ». L’hôpital « Maison-Blanche » de Reims construit de 1926 à 1933 par ce même Hippolyte Portevin offre du reste une apparence similaire.
Que dire de l’évolution architecturale de l’ensemble entre le projet d’avril 1926 présenté par Hippolyte Portevin et la réalité que nous pouvons contempler aujourd’hui ? S’il pouvait admirer son œuvre, l’architecte serait sans doute satisfait de constater qu’elle a parfaitement résisté aux outrages du temps. Puis, des modifications lui apparaîtraient : ainsi les ouvertures principales sur la rue Henri Jolicœur (rebaptisée par décision du conseil municipal, le 30 novembre 1949, rue du Président Franklin Roosevelt en hommage aux forces armées américaines) et sur la rue Saint-Thierry (3) ont été modifiées, agrandies ou aménagées jusque dans les années de guerre 1942-1943. À ce propos, un plan datant d’avril 1926 fait également apparaître une entrée qui ne sera jamais réalisée, située dans le pan coupé de mur qui constitue l’angle des rues Roosevelt et Marie-Clémence Fouriaux. Deux autres différences majeures sur lesquelles nous reviendrons sont l’ajout d’un étage complet sur l’ensemble des bâtiments et les travaux de restructuration et d’extension des années 2006 à 2008.
Au bout de quatre années de travaux, l’École Pratique Jolicœur peut enfin ouvrir ses portes pour sa première rentrée en septembre 1930. Au numéro 10 de la rue Henri-Jolicœur, à proximité de la gare, la « nouvelle École Professionnelle » se compose de deux groupes principaux de bâtiments, situés de part et d’autre d’une allée principale débouchant sur la rue Saint-Thierry. C’est par là que les élèves accèdent à l’école. À gauche se situent les ateliers, à droite les salles de classe, d’étude, de conférence, l’internat et les logements des membres du personnel administratif.
Enthousiaste, le journaliste de « L’éclaireur de l’Est » présente ainsi à ses lecteurs, dans l’édition du dimanche 14 septembre 1930, ce qu’il décrit comme l’une des plus vastes écoles de toute la France :« Les ateliers spacieux, modernes et richement dotés d’outillage forment un immense hall de 5 600 m² comportant forge, ajustage, machines-outils, menuiserie, ébénisterie, filature et tissage, électricité, automobile, aviation et magasins annexes. Au-dessus, on a aménagé douze salles de cours d’apprentissage et les locaux de l’École nationale des contributions indirectes. Le deuxième groupe de bâtiments, plus vaste encore que le premier, forme un grand quadrilatère au centre duquel s’étend une immense cour de récréation d’une superficie de 80 ares. Tout autour, se trouvent répartis au rez-de-chaussée les bureaux, les salles de classe et les laboratoires ; au premier étage, les salles d’études, de dessin et d’enseignement commercial ; au deuxième étage, les dortoirs comportant 250 chambrettes de pensionnaires. À signaler aussi, en bordure de la rue Jolicœur, un immense amphithéâtre en gradins pouvant recevoir 600 auditeurs et dans le voisinage une remarquable installation de bains-douches, puis des cuisines modernes dont tous les appareils sont chauffés à la vapeur ; un réfectoire pour 400 couverts ; enfin le chauffage central formé d’une batterie de 12 chaudières chauffées au mazout nécessitant la construction d’une cheminée de 35 mètres de hauteur. »
L’architecture est bien belle chose, mais l’objet principal d’une école étant l’instruction des jeunes, la population rémoise après s’être extasiée devant la construction de cet édifice qui lui fait honneur, est invitée à la rentrée de septembre 1930 à y inscrire pour la première fois ses enfants. Quelques détails intéressants glanés dans « L’Eclaireur de l’Est » du 18 septembre 1930 :« Il est vivement recommandé aux parents des nouveaux pensionnaires de faire leur demande avant le 20 septembre, en raison du travail nécessaire de confection de l’uniforme et du trousseau de l’élève. »On distingue à l’époque deux sections, l’une industrielle, l’autre commerciale.« Tenant compte des résultats des années précédentes, le directeur de l’école (…) recommande aux familles la section commerciale, car le commerce local recherche de plus en plus les élèves de cette section et leur offre, à la fin de leurs études, des situations très avantageuses. D’ailleurs, l’élite de ses élèves a maintenant la possibilité de continuer les études commerciales à l’École Supérieure de Commerce de Reims et celle-ci trouve à l’École Pratique son meilleur centre de recrutement. Pour être inscrits, les candidats doivent être pourvus du certificat d’études primaires ou bien être âgés de 13 ans au 1er octobre. » Mais en ce temps-là, l’admission n’est pas automatique :« Tous les nouveaux élèves inscrits participent le jour de la rentrée à l’examen d’admission à l’École qui est du niveau du certificat d’études primaires. Cet examen a pour but de déterminer si le candidat peut entrer directement en première année ; si la moyenne obtenue est insuffisante, il est placé dans l’année préparatoire. (…) L’admission à l’école n’est définitive qu’après l’examen et conformément à ses résultats. Pour tous les élèves, les classes commenceront le mercredi 1er octobre à 7 h 30. »
Étrangement, cet établissement n’est inauguré que deux années après sa première rentrée. Le dimanche 31 juillet 1932, à l’occasion du XVIIe congrès des anciens élèves de l’enseignement professionnel qui s’ouvre à Reims, Hippolyte Ducos, qui vient tout juste d’être nommé au poste de sous-secrétaire d’État à l’Enseignement technique dans le gouvernement d’Édouard Herriot, inaugure au côté du député-maire de Reims Paul Marchandeau deux écoles pratiques : l’École Professionnelle de garçons et celle de filles, rue des Augustins.
C’est Monsieur Martin, premier directeur de l’école, entouré de tout son personnel, qui aura l’honneur d’accueillir les notables dans le péristyle de l’École. Parmi les nombreuses personnes présentes, citées dans les journaux de l’époque, figurent l’architecte Hippolyte Portevin et Henri Lecompte, directeur de l’ESC Reims, dont nous aurons l’occasion de reparler.
Maniant l’hyperbole avec une dextérité dont les hommes politiques de la Troisième République étaient coutumiers, Paul Marchandeau insiste sur les incomparables qualités des aménagements de l’établissement et, parlant de son personnel, ajoute : « L’École, qui bénéficie des efforts éclairés d’un directeur d’élite que seconde un personnel de grande valeur, est appelée à jouer un rôle de plus en plus important. Si important que l’État sera sans doute amené à s’intéresser directement à son fonctionnement. Aussi bien, la municipalité qui a tout fait pour que l’école soit une grande institution moderne, est-elle prête à en faire cadeau à l’État. »Une remarque s’impose ici : comme le montre l’inscription « Ville de Reims »que l’on peut, aujourd’hui encore, lire sur son fronton, l’École Professionnelle est une institution née de la volonté de la municipalité et financée par ses deniers. La charge financière en étant lourde, Reims invite l’État, par la bouche de son maire, à l’assumer. Monsieur Hippolyte Ducos répond alors qu’il a bien compris le message et clôt son discours en soulignant la nécessité dans une démocratie de situer au même niveau le travailleur manuel et l’intellectuel et, par conséquent, de placer sur un même plan enseignement technique et enseignement général.
Cinq ans plus tard, en 1937, un changement important intervient dans la vie de l’école puisque l’ESC Reims y est transférée. Pour la clarté du propos, il est nécessaire de rappeler les débuts de cette institution qui ouvre ses portes le lundi 5 novembre 1928. La vie économique de la ville de Reims s’étant, avec la reconstruction, revivifiée, la nécessité de former des personnels d’encadrement devient impérieuse. C’est au cinquième étage du grand Familistère, à l’angle des rues de Vesle et de Talleyrand, dans des locaux loués par les Docks Rémois, que l’ESC est ainsi inaugurée, le jour même de sa rentrée, par diverses personnalités dont Monsieur Charbonneaux, président de la Chambre de Commerce, Monsieur Hodin, inspecteur départemental de l’enseignement technique, et Monsieur Henri Lecompte, Directeur de l’école. Des nombreux discours prononcés à cette occasion, deux citations méritent d’être extraites :« La vie économique actuelle est une vie de luttes continuelles au milieu desquelles la grande industrie et le grand commerce, forme actuelle et presque normale de la production, ont à résoudre les difficiles problèmes de la concurrence et des débouchés, de la normalisation et de la rationalisation, de la concentration et de l’intégration. » Monsieur Lecompte poursuit en soulignant que le rôle de l’ESC sera non seulement de former des agents de direction et leurs collaborateurs, parfaitement maîtres de leurs spécialités techniques, mais aussi dotés d’une large culture générale, alliant éducation intellectuelle et éducation morale. Lui répondant, Monsieur Hodin ajoute fort à propos :« Les grands chefs d’industrie, du commerce, de la banque, sont très rarement les serfs de leur métier. C’est souvent moins par leur technicité spéciale qu’ils ont atteint leur situation, que par une curiosité d’esprit toujours en éveil, par une forte culture qui leur a donné, avec des clartés de choses très diverses, la compréhension rapide, la facilité de saisir les rapports les plus délicats des événements et des choses, la faculté d’assimilation et d’adaptation. »Nonobstant le style, la modernité de ces considérations est éclatante.
En 1928, l’ESC ouvre une première année et un cours préparatoire avec 34 élèves, chiffre qui peut sembler faible, mais qui est supérieur à celui de beaucoup d’écoles analogues. Il s’agit alors d’offrir aux jeunes Rémois une alternative aux classes préparatoires parisiennes. À l’époque, les étudiants, baccalauréat en poche, ont le choix entre deux possibilités : se lancer à la conquête de Paris et intégrer une classe préparatoire parisienne (mais cela est relativement coûteux) ou rester plus modestement en province pour intégrer une école telle que Rouen ou Reims, pour une durée de deux ans, avec un diplôme à la clef. Dans les deux cas, au terme de ce parcours, les étudiants peuvent espérer entrer à HEC. L’École est en fait un tremplin pour intégrer une école de commerce parisienne… (4)
Quant aux matières enseignées, elles ne diffèrent pas fondamentalement de celles d’aujourd’hui : commerce et comptabilité, mathématiques appliquées, histoire du commerce, géographie économique, économie politique, matières premières et marchandises, législation civile, commerciale et industrielle, auxquelles s’ajoutent deux langues étrangères, l’allemand et l’anglais. Seules la sténotypie et la dactylographie ont disparu des programmes actuels. Dès le début et jusqu’à aujourd’hui, la vie étudiante a, elle aussi, commencé à se mettre en place au travers des galas de Noël et des enterrements de promotion, certaines cartes postales de l’époque montrant des étudiants en smoking et haut de forme qui transportent un cercueil à travers les rues de Reims.
À la rentrée de 1937, le lundi 8 novembre, l’ESC déménage et vient s’installer dans l’aile Est de l’École Professionnelle de la rue Jolicœur.Elle change aussi de statut, puisqu’au lieu d’être gérée par la Chambre de Commerce, elle est désormais prise en charge par la Ville de Reims. Elle s’installe au premier étage du bâtiment C où elle restera jusqu’à son déménagement vers son site actuel de Croix-Rouge en 1970. En 1937, l’admission en première année se fait sur concours, tandis que pour être admis en section préparatoire, il suffit de justifier de connaissances satisfaisantes pour « suivre avec fruit » cet enseignement. En principe, les candidats ou candidates doivent posséder soit le brevet d’enseignement commercial soit le brevet élémentaire ou bien justifier de la fréquentation de la seconde d’un lycée ou d’un collège. L’ESC de Reims est désormais une école d’État et de ce fait, l’enseignement y est entièrement gratuit.
La Seconde Guerre mondiale
Pour les jeunes élèves de tous niveaux comme pour l’ensemble des Rémois, la période de la Seconde Guerre mondiale reste associée aux privations, aux tickets de rationnement, aux bombardements, aux couvre-feux, mais aussi bien sûr à la signature de l’acte de capitulation de l’armée allemande dans les murs du Collège Moderne et Technique, le 7 mai 1945.
Le bâtiment de l’école est sinistré en même temps que le pont de Laon au début du mois de juin 1940, quand l’aviation allemande bombarde la ville de Reims, visant particulièrement la gare ferroviaire et les voies de communication. Bien que l’École, située à proximité, soit alors endommagée, cela n’empêche pas les cours de s’y poursuivre. D’autres bombardements ont lieu le 30 mai 1944 sur le quartier Émile-Zola, visant la gare de triage de Reims, mais effectués cette fois-ci par les B17 de la 45th Wing de la huitième « US Army Air Force ». Pendant les alertes, les élèves sont emmenés non loin de là dans les celliers de la maison de champagne « Morlant (de la Marne) » remplacés aujourd’hui par le bureau de Poste principal de la place du Boulingrin.
Les Allemands occupant déjà Reims depuis juin 1940 et ayant notamment complètement pris possession de la base aérienne 112, ils s’installent au Collège Moderne et Technique. Le 30 août 1944, les Alliés libèrent Reims et le 1er octobre, ce sont eux qui réquisitionnent le collège, dans lequel s’installe à la fin de cette même année le QG du Général Dwight Eisenhower. Pendant cette occupation, la moitié des bâtiments du collège, situés à l’arrière, est laissée à la disposition des enseignants et des élèves français, une barrière en bois séparant la cour intérieure en deux, marquant la frontière entre civils français et militaires alliés. C’est aussi à l’époque de l’État Français, en 1941, que l’établissement rebaptisé « Collège Moderne et Technique » (CMT) est nationalisé. Les spécialités en sont entre autres la filature, le tissage, la TSF et l’électronique.
Les Alliés se sont installés dans l’actuel Musée de la Reddition, qui occupe l’aile du bâtiment qui fait l’angle entre la rue Franklin Roosevelt et la rue Marie-Clémence Fouriaux. Le bureau du général Eisenhower, commandant suprême du Corps expéditionnaire allié en Europe et la « War Room » – appellation utilisée par les Alliés pour désigner la Salle des cartes où a été signée la capitulation de l’Allemagne nazie le 7 mai 1945 à 2 h 41 – y avaient été aménagés.
Pour évoquer cet acte de reddition qui mit un terme à la Seconde Guerre mondiale en Europe, laissons la parole à un témoin oculaire, Price Day, correspondant de guerre des Sunpapers de Baltimore :
« Reims, France, le 7 mai. À 2 heures 45, ce chaud matin de printemps, le colonel général Gustav Jodl signa son nom pour la quatrième fois et posa doucement sa plume. La longue guerre d’Europe prenait fin. Jodl se leva, le dos raide, ses talons dans leurs bottes noires serrés l’un contre l’autre. Il appuya le bout des doigts sur la table de chêne bosselée qui remplissait une bonne partie de ce qui, jusqu’à cette nuit, était la plus secrète de toutes les chambres secrètes d’Europe – la Salle de Guerre du SHAEF. Le général Jodl dit en allemand : « Par cette signature, le peuple allemand et les forces armées allemandes sont pour le meilleur et pour le pire entre les mains des vainqueurs ». Le lieutenant général Walter Bedell Smith, chef d’état-major du général Eisenhower, le regarda impassiblement ainsi que quatre autres Américains, trois Russes, un Français, et trois officiers britanniques assis à la table. L’amiral allemand à la gauche de Jodl, et le commandant à sa droite regardèrent droit devant eux. Parlant encore des civils et des soldats de son pays vaincu, Jodl dit : « Dans cette guerre, qui a duré plus de cinq ans, ils ont accompli et souffert plus peut-être qu’aucun autre peuple au monde. En ce moment, je ne peux qu’exprimer l’espoir que les vainqueurs les traiteront avec générosité ». Il s’assit, mais se releva aussitôt, l’amiral et le commandant l’imitèrent. Il n’y eut ni réponse, ni salut militaire. Le visage gris de tension, mais le pas ferme, Jodl se tourna et quitta la pièce. Avec leur départ, l’image solennelle de la reddition se brisa. Les officiers alliés échangèrent quelques mots entre eux, se levèrent, bavardant tranquillement encore un moment avant de quitter un à un la pièce. Ainsi c’était bien fini : la victoire des Alliés sur toutes les forces armées allemandes, sur terre, sur mer et dans l’air. Ce n’était pas un armistice, c’était une capitulation totale et complète. Plus de 45 heures devaient s’écouler après la paix signée cette nuit au quartier général d’Eisenhower à Reims dans l’École Professionnelle de briques rouges ressemblant à une caserne, avant que les armes ne se taisent. »
Le 7 juillet 1945, soit deux mois exactement après la signature de la capitulation de l’Allemagne nazie, le général américain Lord remet à Michel Sicre, maire de Reims, les clés de la Salle de Reddition, en lui disant qu’elles sont aussi celles de la liberté du monde.
La Salle de Reddition reste en l’état jusqu’en 1985. On se contente d’en protéger les cartes qui tapissent ses murs, en les enfermant dans des vitrines, et d’ouvrir une porte sur la rue Jolicœur permettant d’y accéder sans passer par l’entrée du collège. En 1985, à l’occasion du 40e anniversaire de la victoire alliée en Europe, la Ville de Reims entreprend de faire classer « monument historique » ce haut lieu de mémoire (5), et y aménage un musée. La façade, le hall d’entrée et le premier étage du bâtiment sont adaptés aux exigences de la muséologie moderne.
De l’après-guerre à nos jours
En octobre 1946, le Collège Moderne et Technique accueille à nouveau des élèves et les cours reprennent normalement. La municipalité évoque la nécessité de travaux d’extension et désigne comme architecte Monsieur Klipper.
Le nom de l’établissement change le 1er octobre 1951 ; à la suite de sa nationalisation, le « Collège Moderne et Technique municipal de Reims »devient « Collège National Technique et Moderne ». Le lycée endommagé par les vicissitudes du temps et les dégâts liés à la guerre est en assez mauvais état, ce qui amène l’association des parents d’élèves du collège national et technique de Reims à appuyer le mouvement de grève du personnel enseignant le lundi 9 novembre 1953. Dans un article de l’Union, les parents déplorent que« le corps enseignant ait été contraint d’utiliser cette arme constitutionnelle et suprême qu’est la grève pour faire valoir les revendications d’un intérêt national incontestable. Il déplore l’insuffisance des crédits alloués au ministère de l’Éducation Nationale qui se traduit par un surpeuplement des classes, une absence de confort et d’entretien des locaux scolaires, une désaffection de l’élite intellectuelle française à l’égard de la fonction enseignante. Ils s’élèvent contre les lenteurs apportées à la réalisation du projet de reconstruction du collège sinistré par faits de guerre qui empêchent l’emploi des dommages de guerre. »
Deux ans plus tard en 1955, un étage supplémentaire est rajouté au bâtiment central, ainsi qu’à celui des ateliers afin d’étendre les capacités d’accueil du collège. Les réfectoires qui avant-guerre pouvaient servir cinq cents couverts sont aménagés et l’on achète en 1959 l’Hôtel de Brimont, bel immeuble sis 34 boulevard Lundy, pour y créer l’internat de jeunes filles du lycée Roosevelt.
En 1958, le collège National Technique et Moderne de Reims offre déjà une très large palette d’enseignements : on y trouve notamment une section « grandes écoles » qui reçoit exclusivement des bacheliers et des diplômés des Écoles Nationales Professionnelles qui sont candidats au concours d’entrée à l’École Normale Supérieure de l’Enseignement Technique (ENSET), au concours d’entrée dans les écoles d’ingénieurs (ENIAM) ou bien à un diplôme de technicien. On y trouve aussi un collège technique, industriel et commercial qui prépare aux Brevets correspondants et aux Baccalauréats techniques, ainsi qu’un collège moderne préparant au concours d’entrée dans les écoles normales primaires et aux baccalauréats « moderne-mathématiques élémentaires » et « moderne-sciences expérimentales ». Et enfin, un centre d’apprentissage préparant à divers CAP. Nous avons déjà évoqué l’ESC, rattachée administrativement et pédagogiquement au collège. Mais le fleuron de cette école est alors indubitablement la section industrielle TM (Techniques-Mathématiques) permettant après le bac de préparer un concours d’accès aux grandes écoles d’ingénieurs, notamment aux Arts et Métiers.
S’il n’est guère possible ici de citer toutes les spécialités techniques auxquelles prépare le collège, quelques exemples suffiront à en montrer la variété : imprimerie, coiffure d’art, fraisage, tournage, mécanique automobile, aviation, électricité, ajustage, forge, serrurerie, ferronnerie, menuiserie, ébénisterie, filature, tissage… Des ateliers dédiés, des laboratoires de physique, chimie, mesures électriques, sciences naturelles, un bureau commercial, une salle de dactylographie offrent aux collégiens les infrastructures adaptées aux enseignements qu’ils suivent.
De toutes les personnes qui ont marqué la vie de cette illustre école, devenue au fil du temps collège, puis lycée, Émile Arquès est sans doute la plus mémorable. Nommé dès 1934 professeur au lycée, il en devient directeur des études en 1939, fonction qu’il reprendra à la Libération. En 1960, il est nommé Proviseur du lycée et prend aussi la direction de l’École Supérieure de Commerce de Reims. Il dirige également le centre associé au Conservatoire National des Arts et Métiers jusqu’en 1974, date à laquelle il prend sa retraite.
Tous ceux qui ont connu l’homme se souviennent de son dévouement et de son charisme, de son efficace raideur aussi, disaient certains détracteurs. Il est toutefois indéniable qu’il a contribué par son infatigable ardeur et son engagement permanent en faveur de ce qu’il considérait proprement comme « son école » à faire du lycée Roosevelt un établissement de prestige qui est dans les années 60 et 70 l’un des plus importants du quart nord-est de la France. Sous son égide, le collège devient en 1961 « Lycée Nationalisé Technique et Moderne » après avoir obtenu des subventions destinées à financer des travaux d’agrandissement. Ces travaux, en attente depuis 1951, débutent en juin 1962. Ils sont rendus d’autant plus nécessaires que le lycée est devenu, pour reprendre le titre du journal interne de l’époque, une véritable « ruche » : en 1961, il accueille ainsi 1050 internes (seuls sont admis les non-Rémois), 500 demi-pensionnaires et 1130 externes, auxquels il convient d’ajouter les innombrables adultes, jeunes ou moins jeunes, qui assistent aux cours du soir ou du centre rémois associé au CNAM. Ces travaux attendus de longue date, concernent la réfection de l’installation vétuste de chauffage, l’aménagement du gymnase en lieu et place de l’amphithéâtre et la construction de seize douches modernes. La grande cour intérieure subit également une cure de jouvence tandis qu’aux ateliers sont construits blocs sanitaires, vestiaires et lavabos et que le hall d’entrée du lycée est rénové.
En 1963, le Lycée Technique et Moderne de Garçons de Reims (qui malgré son nom compte quelques rares jeunes filles dans ses rangs) devient Lycée Technique d’État de garçons et a un effectif global de 3 500 élèves, dont un millier a la qualité d’étudiants. L’organisation pédagogique des années soixante ressemble en partie à celle d’aujourd’hui : le lycée regroupe sous la direction unique d’Émile Arquès le premier cycle, le second cycle comprenant des sections d’enseignement général long technique ou moderne, préparant aux baccalauréats, des sections techniques industrielles préparant au Brevet d’Enseignement Industriel dans différentes spécialités, des sections techniques commerciales préparant au Brevet d’Enseignement Commercial en comptabilité et au Brevet Supérieur d’Études Commerciales, des sections « grandes écoles » et enfin des Sections de Techniciens Supérieurs dans plusieurs spécialités. Mais aussi l’École Supérieure de Commerce, un collège d’enseignement technique, spécialisé dans la coiffure d’Art et une section « imprimerie ». Ajoutons à cela le centre associé au CNAM, centre créé par arrêté ministériel en 1957 pour permettre à tous ceux qui le désirent de parfaire leur formation dans les domaines de l’enseignement scientifique, technique et économique, et installé au lycée Roosevelt du début des années 60 à la fin des années 90.
Jusqu’en 1963, les élèves quittant l’école primaire et souhaitant poursuivre leurs études entrent en sixième au lycée, qu’ils fréquentent ensuite plus ou moins longtemps selon la voie qu’ils choisissent. La réforme Fouchet-Capelle de 1963 crée les Collèges d’Enseignement Secondaire (CES) en remplacement des premiers cycles des lycées de sorte que le Lycée Roosevelt se limite progressivement aux classes du second cycle et aux post-baccalauréat, cette évolution s’achevant à la rentrée 1968 avec la disparition complète des classes du premier cycle.
En 1974, Émile Arquès passe le flambeau au nouveau proviseur, Pierre Jolly, et aux premières heures du jour de la rentrée, ayant jalousement jusqu’au dernier instant exercé les fonctions qui lui étaient si chères, il lui remet les clefs de l’établissement, l’autorisant alors à occuper le fauteuil directorial. Cette même année, le Lycée Technique d’État de garçons de Reims devient Lycée Technique d’État Mixte de Reims, entérinant ainsi une évolution sociale entamée bien des années plus tôt (6).
Citons parmi les proviseurs qui eurent ensuite la charge de ce que les Rémois d’aujourd’hui appellent tout simplement le lycée Roosevelt, Gérard Eidelveinqui entre en fonction en septembre 1983. Le 1er septembre 1987, plusieurs enseignements techniques doivent quitter le lycée Roosevelt : la chaudronnerie, la section « imprimerie », le BTS « électronique » etc. Ils sont désormais dispensés dans le nouveau Lycée Val-de-Murigny, construit en périphérie de Reims sous l’impulsion, dès le début des années 80, du jeune recteur d’Académie Christian Forestier.
En 1993, arrive un nouveau proviseur, Albert Musso, qui avait jusque-là présidé aux destinées du lycée Val-de-Murigny. C’est sous sa direction que commencent les premières études qui vont conduire aux grands travaux de rénovation et de restructuration du lycée Roosevelt.
Mais c’est essentiellement Sylve Gautier, proviseur nommé en 2003, qui va endosser le costume de maître d’œuvre, devant tout à la fois négocier habilement avec les différentes parties prenantes, veiller au bon déroulement des travaux, allant même parfois jusqu’à prêter main-forte lorsque le besoin s’en fait sentir. Lorsqu’il quitte l’établissement en 2010 pour rejoindre le lycée Georges de la Tour à Metz, il a la satisfaction de laisser derrière lui un lycée entièrement rénové.
Si la réflexion concernant les travaux de restructuration a commencé au début des années 2000, les premiers projets concrets voient le jour en 2004, l’architecte Jean-Michel Jacquet étant dans un premier temps chargé de proposer des solutions au problème que posent l’exiguïté des espaces libres, l’impossibilité de démolir l’existant – protégé par le statut de monument historique du lycée – et la nécessité de dégager néanmoins des surfaces utiles supplémentaires. Seule la grande cour carrée, plus vaste encore que la Place Royale de Reims, permet d’envisager une solution : en sacrifiant quelques marronniers et en édifiant en contact direct avec les bâtiments existants des constructions nouvelles résolument modernes, on pourra faire sortir de terre un nouvel amphithéâtre de 250 places, de grandes salles de devoirs surveillés, un laboratoire de physique et de sciences destiné aux CPGE bâti sur pilotis, et un grand CDI, lumineux et agréable, soit 6 000 m2 de surfaces nouvelles. Le tout construit à l’aide de « voiles de béton brut de décoffrage pour les murs, plans et courbes, vitrages de hauteur d’étage, panneaux pivotants de bois clair pour l’occultation de certaines salles et écrans de tôle ajourée pour brise-soleil » (7). L’ensemble est complété par un patio en creux, reliant CDI et amphithéâtre.
Les travaux de destruction des vieux préfabriqués, de déblaiement, terrassement, construction et aménagement dureront en tout près de trois ans de 2006 à 2008, jusqu’en 2009 si l’on inclut quelques finitions. Lorsque la cour centrale doit être éventrée, commencent des fouilles archéologiques qui s’avèrent rapidement concluantes : un site gallo-romain apparaît en dessous de la cour, avec des habitations, des restes d’édifice et une voie romaine. On y retrouve également des objets de la vie courante. Une fois les fouilles achevées, les travaux de terrassement et de construction peuvent vraiment commencer. Mais au-delà de la création des structures nouvelles déjà citées, les travaux portent aussi sur la réhabilitation de l’existant qui concerne d’innombrables salles de classe et en particulier le centre multimédia CPGE qui est implanté dans l’aile autrefois dédiée à l’infirmerie du lycée, la restructuration ayant avant tout pour but de remettre aux normes actuelles les bâtiments anciens de ce lieu historique et de les rendre plus accueillants.
Réaliser cette campagne de travaux en milieu occupé sans interrompre le cours normal des enseignements fut une gageure que la direction du lycée a tenue, en œuvrant de conserve avec l’ensemble des personnels qui, de leur côté, ont fait montre de patience malgré les bruits et les tracas subis. La Région Champagne-Ardenne a certes investi 14 millions d’euros dans ces transformations, mais la récompense est là : aujourd’hui, le lycée Franklin-Roosevelt offre à tous un cadre agréable et fonctionnel, propice à l’épanouissement intellectuel et personnel des lycéens.
Quelques mois plus tard, le 19 novembre 2009, le Premier Ministre François Fillon effectue une visite au lycée Roosevelt dont le thème principal est l’égalité des chances. Accompagné de Luc Chatel, ministre de l’Éducation Nationale, porte-parole du Gouvernement et de Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, il y est accueilli par Alexandre Steyer, Recteur de l’Académie de Reims et Sylvie Gautier, Proviseur, puis rencontre des élèves de seconde, encadrés par des étudiants de CPGE et trois professeurs. Il assiste à une réunion de travail sur « les cordées de la réussite » avec des établissements participants et des partenaires engagés dans ce dispositif, suivie de la signature de la convention triennale « Cordée de la réussite » de l’Académie de Reims, avant de prononcer une allocution dans le nouvel amphithéâtre. Cette visite est marquée par des échauffourées rue du Président F. Roosevelt, opposant de jeunes manifestants aux forces de l’ordre et conduisant à plusieurs arrestations, qui font passer au second plan l’objet initial de ce déplacement officiel.
À l’initiative de Martial Colson, actuel proviseur du Lycée Roosevelt depuis 2010, deux émissions de la série « Au Field de la nuit » sont tournées dans l’amphithéâtre. Enregistrées le vendredi 20 janvier 2012 et diffusées le 30 janvier et le 6 février sur TF1, elles permettent de montrer aux élèves du secondaire et aux étudiants du supérieur une émission culturelle de qualité et l’envers du décor de la télévision. Ces derniers, ravis de participer à une émission de télévision, ne sont d’ailleurs pas uniquement spectateurs, ils ont aussi la possibilité d’interroger les invités à l’émission dont ils ont préalablement lu les œuvres. La culture est toujours très présente à Roosevelt, le lycée accueillant régulièrement des auteurs et proposant de surcroît un atelier théâtre.
En 2012, le Lycée Roosevelt (8) poursuit la mission qui lui a été confiée en 1930 par la Ville de Reims : instruire la jeunesse de Champagne-Ardenne, proposer à chaque élève une voie adaptée à ses aspirations et à ses aptitudes, permettre à tous, dans un environnement aussi enrichissant et agréable que possible, de se dépasser, de surmonter les barrières que l’environnement sociologique semble parfois placer sur la voie de l’ascension sociale, dans une synergie constructive entre les différents acteurs, permise par le pôle de compétitivité qu’a toujours su être, au cours de son histoire, cet établissement hors-norme.
Que ce soit au niveau de la variété des diplômes délivrés (baccalauréats économique et social, scientifiques, technologiques ou professionnels, brevets de technicien supérieur en comptabilité, informatique de gestion, traitement des matériaux, mécanique et automatismes ou électrotechnique) ou des concours d’accès aux grandes écoles préparés, Roosevelt constitue un excellent choix dont témoignent les résultats flatteurs de ses Anciens.
J’ajouterai un mot de conclusion plus personnel : ayant été nommé professeur au « Lycée Technique d’État Mixte de Reims » en 1976, alors âgé de 23 ans, ce premier poste me sembla de prime abord bien austère, pour tout dire un peu militaire dans son apparence. Mais bien vite, mon désir de demander une mutation pour les cieux plus méridionaux de mon enfance s’estompa, cédant la place à l’attachement que l’on ressent pour un lieu où il fait bon vivre, où la possibilité de s’investir pleinement vous est offerte et où l’on se sent utile aux autres et surtout à ses élèves. À l’approche de la fin de ma carrière, j’éprouve pour ces murs, pour ces briques rouges, pour ce lieu chargé d’histoire et plein d’âme une affection et une gratitude sincères.
La cour carrée rénovée
Sources et remerciements : Je tiens à remercier chaleureusement les personnels des Archives Municipales et Communautaires de la ville de Reims, de la Bibliothèque Carnegie, de Reims Management School et du CDI du lycée Roosevelt qui m’ont aidé dans mes recherches. Il serait difficile et ennuyeux de citer dans le cadre d’une étude aussi brève tous les ouvrages ou sources que j’ai utilisés. Il s’agissait essentiellement de journaux locaux d’époque (L’Eclaireur de L’Est, le Nord-Est, L’Union), de fascicules imprimées par le lycée au fil des années, ainsi que du numéro 4 de la brochure « Le Cafouin » (été 1985). J’ai aussi souvent eu recours à des documents originaux (plans, photos ou textes) conservés aux Archives Municipales et également aux ressources de l’Internet.
(1) Depuis un décret de 1883, les écoles pratiques de commerce et d’industrie sont placées sous la tutelle conjointe du ministre de l’instruction publique et du ministre du commerce et de l’industrie.
(2) Notamment les projets du major de l’armée américaine Georges B. Ford
(3) Aujourd’hui rue Marie-Clémence Fouriaux
(4) Source : Rememorémois (Source RMS)
(5) Par arrêté du 31 décembre 1985
(6) Une circulaire ministérielle de 1966 rappelle : « Un nombre croissant d’activités industrielles et commerciales recherchent des travailleurs qualifiés et des cadres formés en vue d’occuper des emplois qui peuvent être indifféremment confiés à des femmes ou à des hommes. Le moment est donc venu de rappeler très fermement la règle de l’égalité d’accès des filles et des garçons aux enseignements techniques et professionnels de tous les niveaux. À cet effet, il doit être entendu que la mixité est applicable dans les différentes sections industrielles et commerciales des lycées et CET. »
(7) François Lamarre dans Les Echos du 15 janvier 2009